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L’ingénierie touristique face à ses responsabilités environnementales

Comment les bureaux d’études peuvent-ils agir de manière vertueuse face aux enjeux du développement durable ?

Écologie, environnement, éthique, durable, soutenable, impact, décroissance… les concepts et leurs périmètres apparaissent, changent et se multiplient, surtout si on les applique au tourisme, activité à la définition protéiforme qui recouvre tant de pratiques et mobilise tant d’acteurs. Alors, comment faire notre métier d’ingénierie touristique en étant des citoyens responsables face à ces enjeux décisifs et qui, un jour ou l’autre, s’imposeront à nous de manière urgente si ce n’est catastrophique ?

Pour commencer ne cherchons pas à nous limiter à la trop connue définition du tourisme de l’OMT, mais regroupons ici l’ensemble des pratiques touristiques, qu’elles soient résidentielles, des excursionnistes ou précisément touristiques y compris la ou les nuitées qui vont avec.

Il ne s’agit pas dans ces quelques lignes de vendre des grandes solutions universelles pour rendre définitivement vertueux le tourisme (si vous en avez, merci de faire circuler) et encore moins d’en faire des injonctions impératives sous peine de mauvaise conscience éternelle et de ne plus pouvoir regarder nos descendants dans les yeux sachant bien quel mauvais tour on est en train de leur jouer. N’empêche que si l’on n’y prend pas garde, le tourisme risque vite de servir de variable d’ajustement ou de bouc émissaire au développement durable, surfréquentation, transport aérien, navires de croisière… sont déjà sur la sellette.

L’objectif principal est de participer à la réflexion pour bien poser la question du « comment les bureaux d’études en ingénierie touristique peuvent-ils agir de manière vertueuse face au développement durable ? » et de clairement se positionner face aux responsabilités qui sont les nôtres. Néanmoins, même si j’ai l’impertinence de poser cette question, il faut quand même avouer que je ne suis pas le spécialiste qui pourrait y répondre avec l’entière légitimité nécessaire, universitaire et scientifique. Néanmoins, au quotidien, elle se pose à moi, dans chacune des actions liées à mon métier, de la gestion de ma propre agence jusqu’aux conséquences des « conseils » que je peux donner dans le cadre des missions qui me sont confiées.

Commençons malpoliment par moi, puis par l’agence Mérimée elle-même. Je coupe le robinet en me brossant les dents, je mange de moins en moins de viande, j’achète en circuit court et de saison… mais je prends parfois l’avion et mes actions personnelles en deviennent brutalement terriblement dérisoires, c’est frustrant mais implacable. Pour l’agence, je compense volontairement toute mes émissions carbonées par des plantations d’arbres (et attentif à ce que cette compensation soit réelle), je n’ai pas très chaud l’hiver car les radiateurs sont baissés au maximum, je recycle (du papier aux ordinateurs) et j’utilise des consommables verts… c’est le minimum, c’est bien, mais j’avoue ne pas avoir adhéré à un organisme certificateur pour me délivrer le bon point officiel.

Reste la part cachée de l’iceberg, celle dont nous avons néanmoins la responsabilité directe… quel est, dans le cadre de nos missions, l’impact environnemental réel de nos préconisations? Car, au cœur de nos logiques il s’agit bien de faire venir plus de touristes en avion, de mobiliser au mieux les excursionnistes en voiture diesel, de vendre des accessoires de plage souvent en plastique, de multiplier les offres de loisirs et découverte et finalement les pressions sur les sites et territoires. Certes j’exagère un peu, mais que le premier consultant qui n’a pas pêché me lance la pierre !

Résumons, et posons en préalable quelques quasi axiomes qui pourraient fonder l’ingénierie touristique et culturelle. D’une part et en premier lieu, nos interventions respectent les objectifs légaux et citoyens de conservation, protection, connaissance et transmission des biens culturels sur lesquels on travaille, qu’ils soient matériels ou immatériels. D’autre part, au-delà de ces fondamentaux, il s’agit d’œuvrer à des objectifs de développement des territoires afin d’apporter aux habitants les ressources nécessaires à leur bien-être. Pour cela le développement touristique s’articule sur deux leviers complémentaires :

  • grâce aux clientèles locales et de proximité qui dépensent sur le territoire et engagent une dynamique positive avec de l’argent qui circule, qui créé des emplois, qui valorise du foncier, qui fait émerger des offres nouvelles, qui est capté par les prestataires les plus performants…
  • ou en mobilisant et fixant sur le territoire des richesses détenues par des clientèles extérieures, notamment touristes venant sur la destination pour un séjour, ou excursionnistes éloignés… avec un résultat net positif sur le « PIB touristique ».

Après, pour réussir et contrôler ce développement, c’est une question de choix stratégiques et tactiques, de bonne mise en tourisme : quelles clientèles faut-il privilégier, avec quels moyens les mobiliser, comment équiper le territoire pour satisfaire ces visiteurs… ?

Alors, voilà déjà quelques problèmes récurrents et perspectives possibles, mais pas vraiment des solutions.

TRANSPORTS

« Faire venir », le mantra du développement touristique, ou comment aller de là d’où l’on vient jusque-là où l’on va ? Plus l’attractivité sera forte, plus les visiteurs viendront de loin, mieux les publics ciblés se mobiliseront, un cercle économiquement vertueux mais écologiquement catastrophique. Avion, voiture… émettent massivement du CO², parmi bien d’autres pollutions. Quelles réflexions porter si l’on souhaite tenir compte de ces impacts ? :

  • Faire venir moins de visiteurs, mais sur des clientèles plus rémunératrices ? Avec la conséquence de tendre vers des clientèles aux CSP toujours plus hautes, alors que toutes et tous, riches ou pas, avons le droit aux loisirs et à la culture ;
  • Faire venir de moins loin ? Axer le développement sur des clientèles disponibles à proximité… si elles existent ;
  • Faire venir en transports moins impactants : train, covoiturage, randonnées vélos longue distance… et mettre en place tous les systèmes et infrastructures les favorisant et les moyens de contrôle nécessaires (label, certification…) ;
  • Faire venir en transports réellement compensés. Certes cela est vertueux, mais la problématique fondamentale est-elle de toujours compenser de plus en plus ou d’arrêter de polluer ?
  • Faire moins venir mais faire rester plus longtemps ?

MOBILITÉS

À cette étape nous sommes au sein même de la destination et il s’agit de permettre aux visiteurs de ne plus utiliser leurs véhicules. C’est au territoire lui-même d’apporter des solutions de mobilités touristiques, des transports alternatifs doux et à l’impact neutre ou faible et compensé :

  • un réseau privé et public de location de vélos et vélos électriques, des voies et circulations adaptées (site propre, voies vertes, vélo-routes…)… et tous les services nécessaires (parkings sécurisés, escale de réparation/entretien…) ;
  • des véhicules propres en autopartage avec les services et infrastructures : bornes de recharges, voies réservées, stationnements adaptés…
  • mise en œuvre de moyens de réservation/paiement par solutions digitales ;
  • coordination des transports en communs résidentiels avec les mobilités touristiques : dessertes, cadençages, horaires et saisonnalités…
  • coordonner toutes les mobilités (piétonne, trottinettes et vélos, VL, navette, bus… mais aussi cars et trains régionaux) afin de répondre aux parcours et attentes des clientèles touristiques sans craindre les « ruptures de charge » ;
  • offre de navettes autonomes, adaptabilité aux temporalités et dimensionnements des besoins des visiteurs ;
  • sécuriser les déplacements, les rendre expérientiels, que le déplacement doux participe du plaisir de la destination, informer et guider… mise en œuvre de solutions digitales croisant des offres de découverte (application mobile de médiation/interprétation) et de services.

HÉBERGEMENT, RESTAURATION, AUTRES ACTIVITÉS

Il s’agit de développer sur la destination des offres et des services qui soient écologiquement vertueux, faiblement énergivores, non émetteurs de CO2 ou de gaz à effet de serre, dont la construction, l’entretien et le fonctionnement soient gérés suivant des normes environnementales et éthiques scrupuleuses. Et ceci pour l’hébergement, la restauration, les offres de découverte et de loisirs, tous les commerces liés aux activités touristiques. Notons que les monuments historiques et les patrimoines peuvent être dérogatoires, leur conservation ou usage imposant des matériaux et des techniques traditionnelles parfois très émettrices de carbone… ce qui n’empêchera pas de compenser.

  • Privilégier les prestataires touristiques ayant une démarche certifiée ou labélisée de RSE et toutes actions écoresponsables ;
  • Intégrer aux équipements les actions de sensibilisation et éducation des visiteurs aux démarches de développement durable, social et écologique ;
  • Déconcentrer les équipements touristiques afin de limiter les impacts dû à la concentration ou la surfréquentation…. tout en limitant les besoins en déplacement ;
  • Désaisonnaliser les fréquentations afin de limiter le dimensionnement des équipements et de sécuriser les amortissements financiers ;
  • Favoriser la captation locale des flux économiques et une bonne répartition des retombées sur les populations résidentes ;
  • Inciter à l’émergence d’emplois formés et qualifiés, évidemment non délocalisables, proposer des formations ;
  • Construire, grâce aux investissements touristiques, un cadre de vie qualitatif pour les populations résidentes ;
  • Inciter la consommation de produits locaux et de saison, en circuits courts, sécuriser les exploitations agricoles fragilisées…

Et puis, au-delà de ces pistes concrètes qu’il s’agit de mettre en œuvre de manière progressive tout en sachant l’urgence écologique, il y a toutes les stratégies, les décisions politiques et actions de mise en tourisme des destinations qui ont des conséquences directes sur la performance écologique d’une destination. Les niveaux d’action sont ici très larges et diversifiés, allant du choix des cibles clientèles, des outils de promotions et de communication, des modes de commercialisation, à la conception des structures d’accueil et d’information, à la sensibilisation du réseau des prestataires, aux politiques incitatives d’aide et de mutation de l’offre… Bref, des compétences et une culture à acquérir d’urgence.

Enfin, mais finalement aussi à la source de tout ça, il faut garder une vive attention au greenwashing, aux fausses bonnes idées, aux solutions toutes faites et mal appliquées, aux effets de mode, à la bonne conscience vite satisfaite, à notre profonde incapacité à renoncer à nos conforts et habitudes, aux notions d’échelle et d’urgence… car certes il n’y a pas de petites actions vertueuses, mais seulement si cela n’évite pas de résoudre les grands problèmes.

Tourisme durable - Mérimée Conseil